Modélisation et construction de l’arithmomètre Thomas 1820

Les cylindres de Leibniz

 

 

L'entraîneur à cylindres cannelés, inventé par Leibniz dans les années 1670, fut sans doute le plus fécond de toute l'histoire du calcul mécanique. D'abord repris par Hahn en 1770, puis par Thomas de Colmar, on le retrouvera par la suite sur un grand nombre de machines : Burkhardt, Saxonia, Madas, Tim, Archimedes, Austria. Il terminera son histoire en apothéose dans la magnifique Curta de Kurt Hertzstark, produite jusqu’en 1972.
"A la différence de la machine de Leibniz, ces cylindres sont fixes en translation. Ce sont au contraire les pignons qui sont mobiles. Le principe est le suivant : le curseur d'inscription entraîne une fourchette qui déplace un pignon parallèlement à la génératrice du cylindre entraîneur. Suivant la position du curseur, le pignon engrène sur un nombre variable de dents. Comme il coulisse sur un arbre carré, il entraîne le totalisateur, par l'intermédiaire de pignons coniques. A chaque rotation complète de la manivelle, le cylindre entraîneur accomplit une révolution et fait avancer le totalisateur d'une quantité égale au chiffre inscrit au curseur correspondant" / Jean Marguin
Au fil de ses brevets, Thomas de Colmar  modifia  la structure de ses cylindres.
Si les descriptions faites à partir de 1850 sont claires et précises, il n'en va pas de même pour la machine de 1820. Lorsqu'on l'étudie avec minutie, on s'aperçoit que de nombreuses erreurs s'y sont immiscées, rendant incompréhensible le fonctionnement de la machine.
Le rédacteur du brevet  disposait sans doute de peu d’éléments, à moins qu’il ne cherchât à détourner de la vérité tout contrefacteur !...

Alors ! Monsieur Thomas !!  Que s'est-il passé ?

Brevet N° 1420 de 1820

14 dents ? !!! 

"  …. sont montés des cylindres i, qui sont découpés dans leur longueur, comme on le voit de manière à présenter quatorze dents pointues, plus ou moins longues ; 4 de ces dents sont coupées dans toute la longueur du cylindre , et les dix autres vont en diminuant, chacune , de la dixième partie de la longueur du cylindre, et les deux dernières sont de même longueur ..."

On ne comprend pas bien à quoi servent ces quatre dents !

 

 

I) Anatomie du cylindre 

A)  Les dix belles dents du cylindre

Dans le brevet, Thomas nous explique que le cylindre possède 4 dents sur toute sa longueur en plus des dents de longueurs inégales. On se retrouve donc avec un cylindre doté de 14 dents ! Ce qui est incompréhensible !

  • Démonstration

Reportons nous à la figure xxxxxxx
Les roues n comportent deux séries de chiffre successives. Quand on veut ajouter 1, il faut les faire tourner de 1/20e de tour.
Pour ajouter 1, on sait maintenant qu'il faut faire avancer la roue n d'une dent.

Bon !

C'est la roue m qui fait avancer la roue n (fig. D). Pour ajouter 1, il faut donc faire tourner la roue m d'une dent. La roue satellite k, montée sur le même arbre, possède les mêmes caractéristiques : elle tourne aussi d’une dent.

En conséquence, quand le curseur q est en position 1, la roue k doit rencontrer une seule dent du cylindre i au cours d'une rotation complète de celui-ci.

Or, le brevet  nous présente un  cylindre possédant quatre dents sur toute sa longueur en plus des dents inégales.
 
►En position 1, la roue k ne va pas rencontrer 1 dent mais 1+4 dents et avancer de 5   dents au lieu de 1, ce qui fausse totalement le résultat !

 

Comment expliquer cette erreur ?

 

  • Thomas pense de façon erronée que pour faire avancer une roue n de 20 dents avec une roue m de 16 dents, il faut ajouter 4 dents sur son cylindre !
  • Il dessine un faux brevet pour que ses concurrents ne puissent pas reproduire la machine !
  • Le rédacteur du brevet a mal interprété les notes que Thomas lui avait données.

 

  • Eléments de réponse

 

En lisant les autres brevets, et plus particulièrement celui de 1850, on a peut-être un élément de réponse !

La mention  "on a coupé onze de ces dents sur toute la longueur" signifie que les 11 dents ont été supprimées !
Quand, dans le brevet de 1820, il dit "4 de ces dents sont coupées", c'est peut-être qu'elles ont été supprimées !?

Dans notre langage d’aujourd’hui, quand on crée une dent, on la taille. Est-ce l’analogie entre tailler et couper qui nous induit en erreur ? Nous utiliserons la locution « supprimer une dent » pour ne pas entretenir l’ambiguïté

Dans ce cas, la mention "présenter 14 dents pointues" est fausse ! Et le dessin aussi !

 

Conclusion :

 

Il n’y a pas 14 dents mais 10 dents.
Ces 10 dents occupent 10/14 du cylindre (- 4 dents supprimées)

.

 

B) Le pont de report

 

Pour que le report suscité par le passage à zéro du totalisateur de la décade n se produise, il faut que le pignon p  de la décade n+1 tourne d'une dent.
Or le pignon p est lié en rotation au pignon k. Il faut donc attendre pour agir sur p que k ait terminé son office, c'est à dire que tout ce qui était à ajouter dans la décade n+1 ait été ajouté et qu'il ne reste plus que le report à faire. Ceci revient à dire que lorsqu'on agit sur p, l'arbre qui le porte doit être devenu libre de tourner, c'est à dire que le pignon k ne doit plus être en prise avec aucune autre dent du cylindre i.

 

  • 1ére conséquence : la dent supplémentaire de report doit se trouver après les autres dents de la même décade.

 

Ce report étant exécuté, la roue totalisatrice de la décade n+1 est peut-être passée de 9 à 0 sous l'effet du report, ce qui nécessite un report sur la décade n+2.
Au moment où ce report se décide, il faut que la dent de report de la décade n+2 ne soit pas encore entrée en contact avec son propre pignon p, et que le mécanisme ait le temps d'agir. Ce processus de report en chaîne s'appel le pont de report.

 

  • 2ème conséquence, le cylindre de la décade n+2 doit être décalé en rotation d'au moins une dent par rapport au cylindre n+1. La cheville t placée sous la roue totalisatrice doit être aussi proche que possible du chiffre 9 pour laisser un maximum de temps au mécanisme d'agir.

 

Si la section de pose possède 4 décades le dernier cylindre sera décalé de 3 dents par rapport au premier cylindre.
Il faut donc que la manivelle n'ait pas encore fini son tour quand le quatrième cylindre pose son report. Au moment du début du report de la quatrième décade, le premier cylindre a continué de tourner de trois crans. Il ne doit pas avoir entamé son second tour quand le dernier report se termine (quatre crans).

 

  • 3ème conséquence : Les cylindres doivent avoir un espace sans dent correspondant au minimum au nombre de décades du registre de pose. Il est donc légitime de supprimer quatre dents sur le cylindre de cette machine.

   

C) Une dent de retenue décalée

Le décalage de la dent de retenue dérive des principes suivants :

  • Il ne faut jamais que les roues k puissent rencontrer dix dents, sinon le calcul est faux (on ajoute 10 au lieu de neuf). 
  • Comme le report peut être mis en mémoire à tout moment du cycle, il ne faut pas que la roue p puisse rencontrer plus d'une dent.

 

En conséquence, on peut bien avoir « deux dents courtes de longueurs égales » mais elles sont tout simplement décalées !
Si on regarde bien ce qui s'est fait plus tard, la dixième dent décalée deviendra une dent spécialisée externe au cylindre lui-même et située dans le prolongement de son axe.

Cela réintègre notre machine dans une réelle perspective historique puisqu'elle est LE chaînon manquant entre le cylindre de Leibniz à 9 dents et la préfiguration de ce que sera le système de retenue dans les machines suivantes.

  • Evolution des cylindres chez Thomas  

 

A) Migration de la dent à l'extérieur du cylindre

 

 Leibniz

1820

1820

1850

1865-1880

 

 

 

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B) Evolution du nombre de dents sur les cylindres
 

Date

Nombre de dents

Description

Occupation du cylindre

Liebniz

9

9 cannelures de longueur croissante

?

1820

10

Dix dents, dont la dernière impliquée dans la retenue ( 10/14 du cylindre )

10/14

1822

18

18dents,  coupées deux à deux, à des longueurs qui forment un neuvième, deux neuvièmes, trois neuvièmes ....

18/36
moitié de la circonférence

1849

9

"cannelés seulement sur les neuf vingtièmes de leur surface: c'est-à-dire que la circonférence a été divisée en vingt parties et que les cannelures n'occupent que neuf de ces parties, mais elles ne règnent pas sur toute la longueur et sont coupées par neuvièmes en forme d'escalier pour représenter le chiffre du multiplicande de 1 à 9"

9/20

1850

9

11 coupés sur toute la longueur, les 9 autres sont coupés par neuvièmes, en forme d'escalier, pour représenter chaque chiffre du multiplicande, de 1 à 9. ( 9/20 du cylindre )

9/20

1865

9

11 coupés dans toute la longueur du cylindre, puis les 9 autres sont coupés par neuvièmes en forme d'escalier, pour représenter les chiffres de 1 à 9 ( 9/20 du cylindre)

9/20

1880

9

11 coupésdans toute la longueur du cylindre, puis les 9 autres sont coupés par neuvièmes en forme d'escalier, pour représenter les chiffres de 1 à 9

9/20

 

 

Illustrations

 

Fig. A
Cylindre de 10 dents
Les 10 dents occupent 10/14 du cylindre.
Le sens de rotation se fait dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

La dent de retenue se situe en dernier.
Chaque cylindre sera décalé d’une dent par rapport à l’autre pour le report des retenues en cascade.

 

 

Fig. B
(Option A)

Cylindre de profil
Configuration en escalier inversé (Cylindre type 1865)
Dans la rotation, c’est la plus petite dent qui arrive en premier.

Si on pose la valeur 1 au curseur, le cylindre effectuera prés d’un quart de tour avant d’engrener
La dent de retenue se situe toujours en 10ème position.

 

 Fig.  C
(Option A)
Vue à plat du cylindre
Il conviendra de définir avec précision la hauteur et l’épaisseur des dents, leur
pas « primitif » et leur module.

 

Fig  D
(Option A)
Positionnement du cylindre dans la machine

 

 

Fig. E
(Option B)
Cylindre de profil
Configuration en escalier (Cylindre type 1850)
Dans la rotation, c’est la plus grande dent qui arrive en premier.

Quelque soit la valeur posée, l’engrenage est immédiat !
La dent de retenue se situe toujours en 10ème position

 

 

Fig. F
(Option B)

Positionnement du cylindre dans la machine
Configuration en escalier (Cylindre type 1850)

 

 

www.arithmometre.org
2007